Aicha El Channa, figure des mères célibataires du Maroc contemporain
Première militante au Maroc à proposer la Planification Familiale: Part 3
NAOUAL MOUTAZAKKI
II – Un changement ne vient jamais tout seul
Des religieuses prisent d’affection pour Aicha *
A 19 ans la vie d’Aicha prit un nouveau parcours lorsque l’assistante sociale la convoquait à son bureau. Elle ignorait de quoi il s’agissait, le traque la paralysait, décrit-elle, car c’est elle qui était responsable des subventions accordées aux patients tuberculeux. Mais la surprise était de taille. L’assistante qui a pris d’affection pour Aicha lui proposait de passer le concours de l’Ecole d’Etat des infermières « Tu ne peux pas rester toute ta vie une secrétaire médicale » (10) lui annonça l’assistante sociale. Sans même prendre le temps de réfléchir, elle refusait catégoriquement, bien que l’assistante sociale l’ait encouragé en lui proposant l’aide d’une autre assistante, Madame Lou, pour la préparer au concours. Elle s’est laissé convaincre tout en étant sûr qu’elle n’était pas au niveau de ce nouveau défi
De nouveau, l’assistante la convoquait, mais cette fois ci pour lui annoncer qu’elle a réussie l’examen. Elle serait interne et aurait droit à une bourse de 18 mille Fr (180 DH). Mais la joie n’était pas au rendez-vous. Aicha n’en revenait pas car elle était sûr de son échec. Elle pensait au loyer qui coutait 7 mille francs, à sa mère qui va rester toute seule, quand elle sera interne. Elle prit la décision de renoncer à l’Ecole d’Infermières
L’assistante sociale, qui l’a encouragée dès le début et prévue un autre avenir professionnel qu’une simple secrétaire médicale, comprenait parfaitement la situation. C’est pourquoi elle est intervenue avec l’aide du docteur Lahlou auprès du ministre de la Santé, Belabass, et après plusieurs rencontres ils sont parvenus à le convaincre. Ainsi, un poste d’assistante sanitaire sur la base du salaire qu’Aicha touchait, est créé
Sa formation à l’Ecole des Infermières était très riche. Elle suivait des cours donnés par un groupe de médecins et les stages dans différents services de l’hôpital encadrés par des Sœurs. Un curieux hasard a mis Aicha, fin de chaque stage, en contact avec les enfants venaient de « la maison des enfants abandonnés ». Elle devait, comme l’exigé l’assistance sociale principale, accompagner ces enfants pour une excursion et jouer avec eux pour leur apporter un peu de bonheur et d’amour. A ce stade, comme en témoigne Aicha ces enfants elle « les voyait sans le voir » bien qu’ils « entraient par paquet et sortis par paquet et mouraient dans l’indifférence » elle ajoute « je n’étais pas suffisamment mûre pour comprendre leur détresse » raconte-elle (11). Elle a juste commencé à découvrir certaines tristes réalités qui rangeaient la société
A l’âge de 24 ans, elle fut la première militante au Maroc à proposer la Planification Familiale. Elle a constaté, après avoir rejoint le département de l’Education à la Santé et après ses multiples visites chez les mères qui donnaient naissance chaque année, l’extrême pauvreté dans laquelle elles vivaient et la situation désastreuse de leurs enfants, en l’absence de soins et d’alimentation saine. En effet, une table ronde est organisée, les participants étaient de différents horizons : Le docteur Sejilmasi, le professeur Haji, le Fakih Chati, président de l’association des Alims et l’assistante sociale Bouzida
Le séminaire a été largement suivi, il a produit un effet positif au point que le ministère de la Santé, en 1966, décidait de reprendre le programme pour la Planification Familiale. Ce programme a été lancé grâce à la mise en œuvre du programme de l’éducation à la santé. La tâche d’Aicha consistait à présenter une émission à la Radio de Ain Chok, pour la sensibilisation et l’importance de la planification familiale et l’éducation sanitaire. Le programme était destiné aux femmes et aux hommes des zones rurales et urbaines, en dialecte et en utilisant les moyens audiovisuels, surtout pour expliquer le rôle de la contraception. L’application de ce programme, au début, n’était pas facile, souligne Aicha, mais au fur et à mesure que la confiance s’installait, elle a pu parler avec les femmes sur des sujets intimes touchant leur vie privée. Ce qui a frappé Aicha à l’époque, les hommes après avoir pris connaissance des sujets qui seront traités avec leurs femmes, surtout l’importance de la pullule et de la contraception et autres sujets tabou, n’ont manifesté aucune hostilité ou refus (12)
Après cette expérience, Aicha rejoignait l’Association Marocaine de la Planification Familiale », s’ouvrait une nouvelle opportunité dans sa vie sociale pour découvrir de plus près la réalité dramatique des mères célibataires, rejetées, exclues, punies et des enfants nés sous silence et vivaient le poids de la non-reconnaissance
Une expérience inédite au sein de la prison *
Aicha est devenue l’une des pionnières de la planification familiale au Maroc, et en 1972, elle supervisait l’animation d’un programme télévisé sur l’éducation à la santé. Elle adhérait à l’« Union des Femmes Marocaines » à Casablanca. Au cours de cette émission elle commençait à parler du viol, de l’inceste, de l’exploitation sexuelle des enfants et des mères célibataires et des enfants abandonnés. Problèmes sociaux d’une réalité triste que la société et les responsables refusaient de discuter et de reconnaitre. Elle insufflait un air de libération de la parole sur la sexualité après avoir été refoulée et cantonnée dans des cercles fermés des femmes entre elles et des hommes entre eux
Au cours de son travail au sein du programme de Planification Familiale, elle visitait les prisons. La première fois c’était à la prison de « Garage Allal » كراج علال pour parler aux prisonnières des maladies sexuellement transmissibles et leurs risques. Dans cette prison elle fait la connaissance, durant les années de plomb des prisonnières politique : Saida El M’nabhi – Rabiha Laftouh et Fatna Bih, Aicha se trouvait témoin et acteur
Ses visites au sein de la prison ne se limitaient pas uniquement à expliquer les risques des maladies sexuellement transmissibles, elle se lançait dans un but, venir en aide à ces prisonnières. Ses observations approfondies l’ont poussé à faire appel à tout son courage et à son audace pour demander au nouveau directeur de la prison, Si Samir, avec qui elle a tissé des bonnes relations, si elle peut soulever un sujet qui n’est pas de son ressort. Il n’était pas contre mais désireux de savoir lequel, sans cacher son admiration pour son audace, souligna Aicha, « les mères et leurs enfants étouffaient dans la même cellule qui regroupe les autres détenues qui se multipliaient, sans oublier les toilettes, exposa-t-elle. Le directeur subjugué lui promis de réserver une place spéciale pour ces mères et leurs enfants à condition qu’elle se charge de l’ameublement. Une condition qui n’était pas facile, mais grâce à son travail de bénévolat qui lui a permis de faire des connaissances, et sa forte personnalité, elle a pu procurer des lits – des couvertures fournis par l’Association « l’Heure joyeuse » adhérée à la cause d’Aicha et les Sœurs qui ont accueillies son projet et l’ont aidée. Ainsi, les mères et leurs enfants pouvaient bénéficier d’une certaine indépendance loin des autres détenues.
Après sa première demande, qui a été acceptée, elle n’hésita pas à formuler une deuxième. Pour Aicha, il faut faire quelque chose pour ces prisonnières, leur venir en aide pour qu’elles puissent, à leur sortie de la prison, avoir un métier pour faire face à la dureté de la vie, surtout que les anciennes ont déjà bénéficié de l’apprentissage à tisser des tapis, chose qui n’était pas appliquée aux nouvelles. Alors elle demandait au directeur, s’il n’était possible de réserver un service pour enseigner aux prisonnières la cuisine et la couture. Elle a reçu la même réponse que la première fois. Cette fois-ci Aicha s’est adressé au délégué de l’Entraide Nationale, Si Din, et pour le convaincre de son projet, elle l’a invité à visiter la prison pour voir la situation de près, une politique qui a aboutie à le convaincre d’équiper le service avec tous les outils nécessaires en plus des formatrices (13)