Aicha El Channa, figure des mères: célibataires du Maroc contemporain
Une tante Solidaire: Part 2
MOUTAZAKKI Naoual
Une nouvelle vie commençait pour Aicha chez sa tante à Casablanca. Mais malheureusement la position du mari de sa tante envers le poursuit de ses études, ne différait pas de celle de son beau-père. Ce dernier refuse de la laisser effectuer des études poussées. Pour lui elle doit rester à la maison règle appliquée pour ses propres filles. En revanche il a supervisé l’éducation de ses fils qui sont parvenus à occuper des postes importants. Mais son fils ainé a défendu la cause d’Aicha en rappellent à son père le souhait de son oncle désireux que sa fille fasse des études. A force de dialogue et d’opiniâtreté il est arrivé à le convaincre d’autoriser à Aicha de poursuivre ses études.
En s’installant chez sa tante, cette dernière à constituer la deuxième personne qui va renforcer une autre modalité de solidarité entre voisin du quartier, après la solidarité qu’elle a vécue au sein de sa famille après la mort de son père.
Sa tante qui venait du nord du Maroc, savait, déjà confectionner des objets artisanaux. Femme au foyer, comme la plupart des femmes à l’époque, sa maison était un atelier, au terme contemporain, ouvert aux jeunes filles de quartier qui n’allaient pas à l’école. Elle leur apprenait à broder et à coudre, aicha a décrit sa tante ainsi : « c’était une femme généreuse, c’est elle qui achetait de son propre argent les matériaux utiles pour l’apprentissage » (4)
Aicha, à l’âge de 14 ans accumulait des comportements et des observations sur la solidarité. Une solidarité qui sera toujours présente durant tout son parcours
Plus encore, une image, liée à ce mode de solidarité était ancrée dans la mémoire d’Aicha depuis son séjour à Marrakech
*L’empreinte de la Zaouïa Sidi Belabass
Historiquement la Zaouïa a joué, depuis son apparition, après le Ribat, dans la société marocaine, des rôles divers et d’avant-garde. Elle a connu au fil du temps des transformations. Elle a été un endroit destiné à la méditation, à recevoir les nécessiteux et les nourrir. Elle s’est développée au cours du 16 siècle contre les ambitions chrétiennes qui projetaient occuper les villes confins du Maroc. Ainsi elle est devenue un lieu de Jihad.
Le chemin que parcourait Aicha chaque jour de l’école à la maison, passait par la Zaouïa Sidi Belabass. Cette dernière a pris la responsabilité d’abriter et de prendre en charge les aveugles et les handicapés. Chaque mercredi, raconte Aicha, la cagnotte de la Zaouïa qui contenait les dons et les aumônes des passants, le Moqadem l’ouvrait et distribuait son contenu aux personnes dans le besoin (5).
Ce rôle de solidarité qui caractérisait jadis cette Zaouïa et qui a impacté Aicha, n’a actuellement qu’une existence formelle, comme nombreuses Zaouïas. Le contenu de la cagnotte est exclusivement réservé aux soi-disant les descendants du Cheik de la Zaouïa
Un destin croisé
* La religieuse Jeanne Marie le Teinturier
Le voyage des religieuses au Maroc a commencé le 15 novembre 1912, sept mois après la signature du protectorat, lorsqu’un bateau à vapeur arrivait de Marseille à Casablanca à son bord 8 religieuses françaises âgées de 20 à 25 ans. Elles ont répondu à l’appel du Père Irban, de la seule église existante à Casablanca à l’époque. Leur tâche consistait à prodiguer des soins médicaux au sein de la société marocaine. Ce premier débarquement a été suivi par plusieurs missions. La dernière était celle de la « Sœur de la Charité » qui a accompli diverses missions la plus importante concernait les mères célibataires dans le quartier des Roches Noires. Elle les hébergeait au sein de leurs propres maisons sans chercher à connaitre leur histoire. Elles ont imposé une seule condition est que ces jeunes mamans gardent leurs enfants après l’accouchement.
C’est au sein du travail social que leur destin se sont croisés en 1981. Aicha était préoccupée par la situation des mères célibataires et La religieuse Jeanne Marie le Teinturier par la situation des femmes marginalisées. Mais le statut de Jeanne Marie comme étrangère et religieuse ne lui facilitait pas la tâche de créer une association. Chacune d’elle est révoltée, porteuse d’une cause commune, leur rencontre a fait naitre, en collaboration, aussi, avec sœur Regan et Sœur Loudi, la création de l’association « Femme solidaires » en 1985.
J M T était, comme le nomme Aicha, « ma sœur spirituelle » et pour elle « il est difficile de trouver dans l’histoire une femme pareille » réunie en elle des qualités rares chez la plupart des gens (6). Elle était pour elle, la mère, la sœur et l’assistance sociale. C’était l’incarnation de l’abnégation de soi, elle est devenue l’exemple l’icône pour Aicha par son dévouement infini et sa modestie et son grand cœur et son amour illimité pour le travail social. Aicha la décrit ainsi : « très modeste, le mobilier de sa maison atteste d’une humilité rare. Pour rendre visite à sa famille en France, elle prend soi le train ou le bateau afin d’économiser l’argent pour le travail social. Avant son retour définitif en France, où elle est décédée en 1999, elle a légué sa voiture à une association, de Safi, pour personnes sourdes et muettes (7).
Grace à elle, souligne Aicha, elle a appris l’action sociale, ses règles, ses perspectives et son contexte humain. Elle a bénéficié de son expérimentation de terrain. Au fond, elle lui a appris, l’amour des autres, l’engagement pour le changement social et la volonté d’agir.
Endosser un travail de bénévolat dès son jeune âge
A l’âge de 14 ans, sa mère l’a rejointe, mais les conditions de vie chez sa tante sont devenues très difficile. Il y’avait trop de monde à la maison. En plus d’elle de sa tante et ses enfants, il y’avait les apprenties et une autre tante divorcée avec son fils. Aicha commençait à songer à quitter la maison avec sa mère. Un jour un malentendu est survenu entre les deux sœurs et elles quittaient la maison sans direction spécifique. Aicha se rappelle très bien ce jour-là, c’était un samedi, un jour pluvieux, et le lendemain elle a rencontré près de la faculté de médecine une femme, de mère française et père marocain, qui travaillait comme anesthésiste, Aicha l’a abordé en lui expliquant qu’elle est en train de chercher du travail. Elle peut, éventuellement effectuer des travaux de dactylographie en Arabe et en Français. L’anesthésiste lui demandait de passer la voir à l’hôpital Colombani Maurice Gaud (actuellement C.H.U). Ainsi, elle a commencé à travailler à l’âge de 16 ans, au service des lépreux, car il avait besoin d’une secrétaire pour couvrir les dossiers sociaux des malades des patients.
Son travail consistait à établir une correspondance avec le Caïd ou Moqadem ou Cheik pour qu’ils accompagnent le malade et toute sa famille. Un travail qu’elle ignorait complètement. Mais grâce à l’assistance sociale, Aicha a su gérer les dossiers des malades « Elle m’a bien accueillie et bien traité, elle m’appelait ma fille, elle m’a appris comment remplir les questionnaires » (8). Aicha était très contente de ce travail qui lui procurait un revenu de 37 mille franc (375 DH), salaire qui lui a permis de louer une maison avec sa mère et subvenir à leurs besoins.
Ce statut de chef de famille, à son jeune âge, n’était pas par choix mais par contrainte. A l’époque la proportion des ménages dont le chef est une femme est pratiquement négligeable, mais constitue à cette époque, un fait social porteur de changement et la constitution de ménage monoparental, et même temps, un indice des débuts de la flexibilité de la famille, qui commençait à générer plusieurs types de famille telle famille mère et fille vivant ensemble.
Sous l’effet conjugué du jeune âge et de la pénibilité du travail, Aicha succomba à une dépression nerveuse juste après trois mois de travail et le médecin chef lui demandait de quitter l’hôpital, une décision qui n’arrangeait pas les affaires d’Aicha. Une décision qui a mis le syndicat sur la ligne en prenant la défense d’Aicha en expliquant au médecin chef sa situation familiale. Il devint compréhensif et décida de l’envoyer, au début à la réception et par la suite au Centre de Santé (devenu hôpital Moulay El Hassan) chez le docteur Lahlou, fondateur de la « ligue marocaine de la lutte contre la tuberculeuse ».
Dans ce centre ils travaillaient une infermière française et une assistance sociale, Madame Favarilli. Cette dernière lui a appris, à son tour, comment remplir les dossiers des malades et comment traiter les patients et comment devenir une assistante sociale. Aicha gardait le même travail qu’elle pratiquait avant de rejoindre le centre. Elle effectuait des recherches sur le malade, sa famille, qui devait être examinée pour s’assurer qu’il n’y a pas de contagion et identifiait les bénéficiaires des subventions et des médicaments.
Au début Aicha accompagnait l’infermière qui menait les recherches sur le terrain. Par un pur hasard l’assistante sociale qui fait le suivi des dossiers de malades partait en congé de maternité, alors on attribuait son poste à Aicha. Cette tâche lui a permis d’être en contact avec les enfants et découvrir les problèmes qui les touchaient et qu’elle ignorait. L’emplacement de l’aille ou elle travaillait était mitoyen au service pédiatrie ce qui lui permettait une fois son travail terminé de se rend à ce service.
La jeune Aicha était impressionnée par le rôle de la ligue pour la protection des enfants contre la Kwaschiorkov (mal nutrition chez les enfants) et lorsque la ligue a fait appel pour des bénévoles pour apprendre aux femmes les outils d’hygiène et comment nourrir les enfants, elle s’est portée volontaire. Un travail ou elle s’est retrouvée, déclara-t-elle, surtout qu’elle avait « une liberté responsable » accordée par sa mère (9).
Son travail de bénévolat consistait à sensibiliser les mères de l’importance de la vaccination et la nécessité de respecter le calendrier des vaccins contre : La Variole – la Poliomyélite (microbe qui touche le cerveau et provoque une paralysée des membres de l’enfant)
Ce qui a marqué Aicha pendant la compagne qu’elle a menée, c’est que le comportement des hommes, de l’époque, n’était pas hostile à ce qu’une aide-soignante rencontre leurs femmes et leurs filles. Les bénévoles faisaient de porte à porte avec des dossiers pour contrôler les dates des vaccins, et laisser un rappel aux absentes. Le même travail, elle le pratiquait auprès des tuberculeux en consultant le carnet d’état civil et le carnet de santé pour vérifier les dates des vaccinations. Le grand souci d’Aicha était de s’assurer que les vaccins sont faits, et les femmes qui étaient absentes passaient au centre hospitalier
A suivre